TESTA MORA
Dans la langue très codifiée des héraldistes, les armoiries de la Corse sont…
… «d’argent, à la tête de Maure de sable, tortillée du champ»
Pour «traduire» cette description, il faut d’abord préciser que l’héraldique utilise des émaux, comprenant (notamment) cinq couleurs et deux métaux.
Les cinq couleurs: azur (bleu), gueules (rouge), sinople (vert), pourpre (rouge profond violacé), et sable (noir). Les deux métaux: or et argent.
Ces émaux peuvent être figurés en enluminure (couleurs réelles), ou par des signes conventionne (hachures…), notamment pour les ouvrages imprimés (en noir et banc). Le signe conventionnel de l’argent est un simple fond blanc.
La description commence par le champ, c’est-à-dire le fond:
«d’argent…»
«à la tête de Maure de sable», c’est-à-dire noire (certains traités d’héraldique notent qu’il est inutile de préciser cette couleur: la tête de Maure est forcément «de sable».)
«tortillée du champ» signifie que la tête porte le bandeau, qui en héraldique couronne toujours la tête de Maure, et que celui-ci est d’argent, comme le «champ».
Enfin, à l’origine, les armoiries sont destinées à figurer sur l’écu d’un chevalier. La figure (tête de Maure, par exemple) est tournée vers la dextre: c’est-à-dire vers la droite du chevalier et… vers la gauche de celui qui regarde.
On a beaucoup glosé sur tous ces éléments, et Pascal Paoli lui-même a voulu attribuer au bandeau la signification de la souveraineté retrouvée des Corses (Antonetti, 1980, p.26, n°36). Pour certains, ce bandeau blanc est en effet le signe d’une autorité royale (diadème des souverains hellénistiques par exemple). Pour Théodore de Neuhoff, cet aventurier allemand devenu roi de Corse d’Avril à novembre 1736, le bandeau descendu sur les yeux était, au contraire, le signe de la dépendance passée des insulaires, et il le souligna en ajoutant une chaîne aux armoiries. Le collier de perles et la perle d’oreille qui apparaissent fréquemment à cette époque sont moins des attributs héraldiques qu’une contamination du répertoire décoratif du temps. On dit aussi que la tête était tournée vers la gauche, alors que la tête est simplement tournée à dextre, ce qui correspond à la norme.
«Apparue à la fin du XIIIème siècle sur les sceaux d’un roi d’Aragon, portée peut-être par quelques chefs corses du parti aragonais aux XIVème et XVème siècles, reparue sur un atlas italien du XVIème siècle, répandue par lui à travers l’Europe des cartographes, ramenée en Corse par Théodore de Neuhoff en 1736, devenue avec Paoli l’emblème officiel de la Corse indépendante, telle est l’extraordinaire parabole historique de la tête de Maure» (Pierre Antonetti: «Le drapeau à tête de Maure», Études d’histoire corse – Ajaccio, La Marge, 1980).
Reste le choix de cette figure. Les armoiries peuvent être parlantes (lorsque la famille se nomme Mori, Morelli, Morazzani…) ou allusives: rappel de la victoire d’un chevalier chrétien sur un adversaire «maure»; mais de quel chrétien et de quel Maure s’agit-il? On a voulu voir, dans cette image, le souvenir de la reconquête de la Corse sur les Sarrasins. Pierre Antonetti rappelle que « l’emblème n’est pas né dans notre île, qu’il y a été importé par les rois d’Aragon». Toutefois, les Corses se le sont approprié, et il suffit de rappeler que le résistant Jean Nicoli le revendiquait jusque dans sa prison, avant d’être exécuté par les fascistes.
Jean-Marc OLIVESI
Moresca – Exposition temporaire du 10/07 au 30/12/1998
Musée de la Corse – Citadelle de Corte
QUELQUES REPRESENTATIONS DES ARMES DE LA CORSE
D’après Robert LOUIS héraldiste. 1985
Armes de la Corse, Carte de « la Corsica »
In. « Giustificazione della Rivoluzione di Corsica »
Corte, Musée de la Corse. (n°140)
Drapeau corse recueilli après la défaite de Ponte Novo.
Bastia, Musée Ethnographique. (n°139)